Taxinomie ou Taxonomie européenne ? Définition, enjeux et réglementation
Taxinomie ou Taxonomie : Définition et usages
Dans le contexte de la finance durable, les deux termes ont la même signification. “Taxinomie” est la traduction française littérale, tandis que “Taxonomie” est un anglicisme couramment utilisé. La Taxonomie européenne, dispositif central du plan d’action pour la finance durable de l’Union Européenne, est un des outils utilisés à l’échelle européenne pour lutter contre le greenwashing. Elle donne une définition commune d’une activité économique durable sur le territoire européen et permet la classification de celles-ci.
Alors que les entreprises soumises à DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) préparent le calcul de leurs indicateurs sur l’exercice 2023, quels sont les enjeux pour les acteurs de l’immobilier ?
Principes de la Taxonomie européenne
La Taxonomie européenne définit une activité économique comme durable si elle contribue substantiellement à un objectif environnemental, sans causer de préjudice important aux autres et tout en respectant les garanties minimales. Elle repose ainsi sur une logique systémique et multithématique.
La Taxonomie verte se décline selon six objectifs environnementaux :
- Atténuation du changement climatique
- Adaptation au changement climatique
- Gestion durable de l’eau et des ressources marines
- Transition vers une économie circulaire
- Prévention et réduction de la pollution
- Préservation de la biodiversité
La Taxonomie européenne introduit un nouveau principe d’absence de préjudice : exercer un impact positif sur un enjeu environnemental ne suffit pas, il faut vérifier le respect de critères de performance minimale sur tous les autres. Ceci fait écho aux limites planétaires, dont les multiples interconnexions démontrent la dimension systémique des enjeux environnementaux actuels. Au-delà des enjeux environnementaux, la Taxonomie verte exige le respect d’un socle sur les deux autres dimensions de l’ESG : les garanties minimales.
La seconde spécificité de la Taxonomie européenne est le pont qu’elle jette entre indicateurs extra-financiers et financiers. Les indicateurs à publier sont les flux financiers “alignés”. Le chiffre d’affaires durable témoigne ainsi de la performance extra-financière actuelle d’une société, alors que les dépenses d’investissement et d’exploitation alignées sont le reflet des efforts mis en œuvre pour aller vers plus de durabilité dans les activités. Ces indicateurs devront permettre une comparaison transsectorielle et européenne des activités économiques. Cette réglementation devient ainsi un outil de lutte contre la greenwashing, imposant une définition commune et une lecture unique sur les marchés. Elle vient ajouter une dimension extra-financière, ESG, aux indicateurs purement financiers.
Taxonomie européenne et secteur de l’immobilier
Toute la chaîne de valeur de l’immobilier est concernée, directement ou indirectement. Promoteurs, propriétaires et gestionnaires d’actifs immobiliers soumis à la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière), bientôt remplacée par la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), devront calculer et publier leurs indicateurs taxonomiques. Les gestionnaires d’actifs, banques et assurances devront calculer l’alignement de leurs investissements. A terme, la Taxonomie européenne pourrait devenir une condition de financement auprès des établissements de crédit.
Ce texte réglementaire impose donc un nouveau référentiel commun permettant de définir un “immobilier durable”. Celui-ci est défini grâce à des critères techniques. Par exemple, un bâtiment en exploitation contribuera substantiellement à l’objectif d’atténuation si son DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) est de classe A ou bien si ses consommations énergétiques le placent parmi les 15% des bâtiments les moins énergivores selon un benchmark dédié. Des critères s’ajoutent, et ne peuvent être outrepassés, pour vérifier que le bâtiment ne cause pas de préjudice important à l’adaptation au changement climatique : une cartographie des risques doit être effectuée, selon des scénarios prospectifs, et un plan d’adaptation anticipé. Des standards sont également définis pour les activités de construction et de rénovation.
Les acteurs soumis ont publié leurs premiers chiffres d’alignement cette année, sur l’exercice 2022. A l’échelle européenne, l’ESMA (European Securities and Markets Authority) a mené une étude multisectorielle sur ces résultats. L’échantillon comprend des entreprises des secteurs manufacturier, énergétique, des transports et de l’immobilier. Sur les 54 publications analysées, le taux moyen d’alignement sur l’indicateur de Chiffre d’Affaires (CA) s’élève à 17,3%. Le taux de durabilité des CAPEX est plus élevé, atteignant 28,1%. Dans le secteur de l’immobilier, l’Observatoire de l’Immobilier Durable a mené deux benchmarks : le premier sur les promoteurs et foncières, le second sur les produits financiers immobiliers grand public. La part des investissements alignés est faible parmi les fonds analysés : l’alignement réel atteint 5% pour l’indicateur de CA et 2% pour les CAPEX. Les sociétés non-financières déclarent des indicateurs plus élevés. En moyenne, 38% du CA des sociétés immobilières cotées analysées est aligné, tandis que 61% des CAPEX le sont. L’indicateur en termes de CA s’élève à 11% pour les promoteurs. Tous ces chiffres témoignent de l’élitisme de la Taxonomie européenne.
Genèse et évolutions règlementaires
Pour rappel, la Taxonomie européenne est le pilier central du plan d’action pour la Finance Durable de l’Union Européenne, datant de 2018. Le texte réglementaire initial a été publié en 2020. Celui-ci a depuis été complété par des actes délégués, venant définir les critères techniques et les modalités de calcul des indicateurs financiers, en 2021 et 2023.
Si la Taxonomie européenne est le dictionnaire des activités économiques durables, elle irrigue d’autres dispositions réglementaires du même plan d’action :
- L’actuelle Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), définissant le contenu du rapport extra-financier, ainsi que la future CSRD, exigeant un rapport de durabilité plus complet et harmonisé pour un nombre croissants d’acteurs.
- Le Règlement SFDR, précisant plusieurs niveaux de transparence pour les produits financiers, et imposant pour ceux ayant des caractéristiques ESG la publication des indicateurs taxonomiques.
- Le nouveau EU Green Bond Standard, venant harmoniser à l’échelle européenne la définition d’une obligation verte.
La Taxonomie européenne s’inscrit donc dans un écosystème réglementaire plus large, venant redéfinir la transparence extra-financière pour tous les acteurs économiques.
Les actes délégués successifs montrent un texte très évolutif, complexifiant l’appropriation, la compréhension et finalement la mise en œuvre par les acteurs. Au-delà des textes purement réglementaires, des Foires Aux Questions et des rapports complémentaires ont été publiés, par exemple sur la définition des garanties minimales. Les dernières évolutions datent du début de l’été. En juin 2023, les critères techniques pour les objectifs environnementaux autres que climatiques ont été adoptés, ainsi que des amendements sur les actes délégués relatifs aux objectifs climatiques et au calcul des indicateurs. Le secteur immobilier est concerné par deux évolutions. Les activités de construction et de rénovation peuvent également être qualifiées de durables selon l’objectif de transition vers une économie circulaire (sous réserve du respect des critères). De plus, de légères précisions ont été apportées sur les critères d’absence de préjudice pour ces mêmes activités de construction et de rénovation. Par exemple, les étiquettes qualité de l’air françaises peuvent désormais justifier le critère taxinomique portant sur les COV (Composés Organiques Volatiles).
En résumé…
La Taxinomie ou Taxonomie européenne est aujourd’hui le texte de référence pour définir ce qu’est une activité économique durable. C’est un texte exigeant à plusieurs titres. Les premiers résultats montrent des taux d’alignement moyens inférieurs à 50%, démontrant l’élitisme voulu par les autorités européennes pour cette nouvelle définition. Par ailleurs, l’application concrète et le calcul restent complexes. La compréhension des dernières évolutions nécessite une veille réglementaire active, tandis que le calcul peut vite s’avérer chronophage, surtout dans le cas d’une analyse à posteriori pour cette première année d’exercice. La question se pose désormais de l’intégration de l’analyse taxinomique dans les processus existants des acteurs, ainsi que dans les systèmes d’information.